Propositions du SYPRED pour tendre vers une économie circulaire sûre et durable
« Le risque d’une catastrophe humanitaire est réel si la transition écologique échoue.[1] ». Si nous voulons que l’économie circulaire se concrétise nous devons nous accorder sur des mesures pratiques et ambitieuses pour concilier croissance économique et gestion durable des ressources. Et si nous tenons à ancrer durablement l’économie circulaire et garantir la protection de l’environnement et de la santé nous devons viser la qualité indissociablement de la quantité.
Vous avez écrit « il ne faut pas des petites mesures mais de grands changements[2] ». On est souvent tenté de chercher à évaluer instantanément le résultat de nos actions alors que par essence l’économie circulaire et ses mutations font que les bénéfices pour l’environnement et la société ne se mesureront qu’à plus long-terme. En intégrant au bon niveau les aspects de santé publique et d’environnement, le recyclage sera rendu plus durable, même si, à très court terme, cela conduit à écarter quelques % des déchets. Il est essentiel de comprendre que cela boostera l’innovation, donnera de nouvelles valeurs au métier et conduira à l’embauche de personnes qualifiées. Comme le préconise la Commission Européenne[3], la décontamination garantira une économie circulaire sûre et durable seul moyen d’obtenir un recyclage de qualité.
Promouvoir un recyclage de qualité à travers la décontamination et la traçabilité pour protéger la santé et l’environnement
Favoriser l’utilisation de matières premières secondaires issues de déchets plutôt que de recourir à des matériaux vierges est fondamental, mais nécessite avant tout de s’assurer que ces matières et substances issues de déchets répondent aux besoins des utilisateurs et que leur réintroduction dans le cycle économique ne présente aucun danger. Concrètement, cela revient à s’assurer que tout ce qui pourrait être toxique dans le cycle des matières ne soit pas réincorporé via la chaîne de recyclage. Bien que cela semble évident, c’est loin d’être le cas aujourd’hui, et on peut citer de nombreux exemples où des substances toxiques indésirables n’ont pas été extraites du cycle de la matière et se sont ainsi retrouvées dans l’environnement ou sont toujours présentes dans les produits intégrant du recyclé. C’est par exemple le cas des retardateurs de flamme bromés dans des jouets ou des plastiques en contact avec les denrées alimentaires alors même que ces substances sont clairement identifiées à la fois comme des perturbateurs endocriniens et des polluants organiques persistants soumis à des règles extrêmement strictes. Aujourd’hui, entre 15 et 35% des retardateurs de flamme interdits sont réincorporés dans les matières plastiques via le recyclage (en fonction des matériaux). Et cela uniquement en s’intéressant aux plastiques de DEEE mais c’est la même situation dans les déchets d’ameublement et les textiles.
Ainsi, la décision chinoise[4] d’interdire l’importation de certains types de déchets solides fortement pollués est compréhensible. Elle crée clairement l’opportunité pour la France de promouvoir des cycles de matières non toxiques[5]. Ceux-ci conduiront à un recyclage de qualité et donc des matières premières secondaires de qualité. Pour le SYPRED cela se décline à travers deux conditions complémentaires :
- DECONTAMINATION à savoir que lorsqu’un déchet destiné à être recyclé contient des substances préoccupantes au-delà des seuils définis dans la réglementation il faut extraire ou transformer ces substances afin de respecter les seuils réglementaires et garantir un recyclage sans risque,
- TRACABILITE, condition nécessaire de la décontamination, qui permet de conserver l’information sur la caractérisation des déchets tout au long de la chaîne et jusqu’à leur destination finale, et qui assure à la fois que le déchet sera traité de manière appropriée dans les installations adéquates et que les recyclats seront incorporés dans des matériaux pour des usages autorisés.
Où placer le curseur entre recyclage à tout prix et protection de la santé ?
Fixer des objectifs ambitieux de recyclage accompagnés d’outils économiques appropriés permettra certainement de dépasser les limites actuelles techniques et économiques auxquelles les opérateurs du recyclage peuvent être confrontés. Comme vous l’avez exprimé lors des Assises des déchets, « les signaux économiques doivent être prévisibles et suffisamment incitatifs pour enclencher les investissements irréversibles dans les entreprises ».
Mais tout autant que l’on puisse tendre vers une société du recyclage, il est fondamental de rappeler que cet objectif ne doit pas se faire au détriment de la santé et de l’environnement. Le tout recyclage peut entraîner des contaminations et des scandales sanitaires qui seraient destructeurs pour l’économie circulaire.
Néanmoins, l’objectif n’est pas d’atteindre zéro contaminant mais de garantir qu’une substance ou matière destinée au recyclage respecte les seuils en substances préoccupantes des législations existantes (POP, ROHS, REACH, etc.).
Les REP peuvent constituer un outil économique intéressant mais leur modèle est à revoir pour améliorer leur performance écologique
De notre retour d’expérience des systèmes REP en France, leur ambition environnementale est assez contrastée. Ceci est structurel : en effet, la législation française actuelle attribue un monopsone aux éco-organismes chacun pour son secteur. L’éco-organisme est entièrement juge et partie puisque les metteurs en marché sont à la fois les contributeurs en amont et les donneurs d’ordre en aval. A cela s’ajoute un certain recul du contrôle de l’Etat sur les filières REP par rapport aux autres filières de traitement de déchet. Il résulte de tous ces faits que les éco-organismes sont actuellement peu sensibles à la question écologique. Ils peuvent privilégier des traitements de déchets low-cost au détriment de l’ambition environnementale.
Pourtant, la responsabilité élargie du producteur basée sur le principe du pollueur-payeur pourrait tout à fait être un outil pertinent dans le cadre de l’économie circulaire, en particulier pour son effet de massification des flux de déchets. Il conviendrait déjà de mettre en place une gouvernance partagée et contrôlée entre l’ensemble des parties intéressées et de laisser aux opérateurs le savoir-faire et la propriété de la matière. Mais surtout il faudrait mesurer la performance technique, sociale et environnementale d’une filière pour s’assurer que les déchets reçoivent les traitements appropriés et que l’atteinte des objectifs de valorisation et de recyclage prenne en compte la problématique des contaminants dans les matières post-consommation.
Quelques propositions
1-Décontaminer
Nous avons l’opportunité d’inclure tout de suite ce principe dans la loi au travers du paquet économie circulaire. Les propositions sont sur la table du trilogue. Après une adaptation que nous proposons, la France devrait pousser l’inclusion d’un paragraphe instituant la décontamination dans l’article de la directive cadre déchets relatif à la valorisation.
2-Contrôler la boucle de recyclage
Si on veut assurer un recyclage de qualité sans contamination par des substances préoccupantes, il faut maîtriser la chaîne de gestion des déchet : pour chaque flux de matière, tous les acteurs doivent être certifiés, un système de reporting des entrants et sortants centralisé doit être mis en place et aucun déchet ne doit pouvoir aller vers le recyclage s’il contient des substances préoccupantes au-delà des limites autorisées par REACH, règlement POP, ROHS, etc… à l’entrée des installations finales de recyclage afin d’assurer la résilience du recyclage vis-à-vis des substances préoccupantes dites héritées. Il existe quelques trop rares dispositifs innovants et performants sur ce sujet.
3-Déployer rapidement les mécanismes financiers incitatifs
Il y a un intérêt à pousser davantage les réflexions sur le carbone mais en intégrant également l’épuisement des ressources et la présence de substances préoccupantes. Cela peut être ajusté :
- soit au travers de l’éco-modulation dans le cadre des filières REP avec des éco-contributions plus fortes en cas de non utilisation de recyclés et en cas d’intégration de substances préoccupantes,
- soit par l’instauration d’une TVA circulaire dans les cas hors filières REP avec le soutien direct du Président de la République pour pourvoir déroger aux règles sur la TVA comme le font déjà d’autres pays (Belgique, Suède).
[1] Gaël Giraud
[2] https://www.brunepoirson2017.fr/environnement_transition_ecologique
[3] Study for the strategy for a non-toxic environment of the 7th Environment Action Programme, 2017
[4] Notification de la Chine à l’ OMC (18.07.2017) – (…) The reasons for urgent measure: (…) we found that large amounts of dirty wastes or even hazardous wastes are mixed in the solid waste that can be used as raw materials. This polluted China’s environment seriously. To protect China’s environmental interests and people’s health, we urgently adjust the imported solid wastes list, and forbid the import of solid wastes that are highly polluted (…)
[5] Study for the strategy for a non-toxic environment of the 7th Environment Action Program, 2017